Jean-Yves Stoquer : Catacombes et ingénierie du bâtiment

Paris est la ville la plus visitée au monde : la région accueille environ 42 millions de touristes chaque année, et près de la moitié des visiteurs sont étrangers quand il s’agit de Paris intra-muros. De nombreuses destinations ou monuments attirent ces personnes, comme la tour Eiffel, le musée du Louvre ou la cathédrale Notre-Dame de Paris. Mais il existe d’autres lieux atypiques que les touristes adorent visiter, mais que l’on ne cite pas immédiatement : c’est le cas des catacombes de Paris, lieu mythique s’il en est et pourtant mal connu. Jean-Yves Stoquer, ingénieur spécialiste du bâtiment et des fondations spéciales, et grand amateur d’Histoire de France, explique ce qu’il faut savoir sur cet endroit si particulier…

Le fantasme des catacombes

La plupart des personnes ont une vision assez primaire de ce que sont les catacombes : des galeries souterraines qui débordent de squelette, et notamment de crânes. C’est l’image immédiate que l’on en a, c’est celle qu’affiche le site officiel des catacombes de Paris en première page, et c’est une représentation que la fiction a considérablement popularisée. Les enfants auront ainsi découvert des catacombes terrifiantes dans le « Bossu de Notre-Dame » de Disney, une adaptation du roman « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo qui s’efforçait déjà de montrer de nombreux aspects du Paris de l’époque. Les amateurs de bande-dessinée les auront retrouvé dans les aventures de Blake et Mortimer avec l’album « l’affaire du collier », où c’est leur aspect labyrinthique et souterrain qui est mis en exergue. Quant aux amateurs de cinéma, ils se souviendront peut-être du film « Les Gaspards », de Pierre Tchernia, où une vingtaine de touristes disparaissent dans les catacombes, en même temps que des objets de musée et des aliments volés dans les commerces environnant. C’est donc un lieu atypique qui alimente les fantasmes de chacun, mais qu’en est-il de la réalité ? Pourquoi les catacombes ont-elles été creusées ? Pourquoi les avoir creusé ? Dans quelles conditions les travaux ont-elles eu lieu ? C’est ce que Jean-Yves Stoquer va tenter d’expliquer. Ce passionné de l’Histoire de France est ingénieur du bâtiment dans sa vie professionnelle, ce qui lui donne un point de vue très intéressant sur la question. C’est notamment un spécialiste des fondations spéciales, et on peut dire sans risque que les catacombes de Paris sont un sol particulier qui nécessitent des travaux de fondations spéciales si l’on pense construire par-dessus…

L’origine des catacombes de Paris

Tout d’abord, il est important de préciser que l’on parle des « catacombes de Paris » de manière spécifique : il y a des catacombes dans différentes villes, que ce soit en France avec Lyon (celles-ci sont inaccessibles au public) ou à l’étranger avec Rome. Fins connaisseur des sols, l’ingénieur explique que les catacombes de la ville de Paris sont en réalité d’anciennes galeries et des vieilles salles qui ont été creusées dans le banc rocheux du calcaire grossier du Lutétien. Ce terme amusant bien de l’ancien nom de Paris, Lutèce, et ce calcaire est très caractéristique de la région. Par conséquent, il d’abord été surnommé « calcaire grossier », avant de devenir le « calcaire lutécien » ou « calcaire du Lutécien ». L’intérêt de ces galeries était de pouvoir obtenir des pierres de différentes qualités pour les utiliser dans la construction de la cité. Cependant, attention à ne pas confondre les différents termes entre eux : les galeries sont simplement les chemins bâtis pour accéder aux exploitations, que l’on appelle « mine » ou « carrière ». Les deux termes désignent l’extraction ou l’exploitation d’une substance rocheuse, mais on opère une distinction selon la nature de la substance extraite, soit sa composition chimique exacte. Le Code Minier a donc établi 2 listes différentes pour les catacombes de Paris !

À Paris, le besoin en pierres de construction est très ancien et date de l’Antiquité gallo-romaine. À cette époque, la « capitale des Gaules » était Lugdunum, devenue aujourd’hui Lyon, et Paris était Lutèce, peuplée par les Parisii, qui ont sans doute donné leur nom à la ville plus tard. Pour étendre la ville, il fallait trouver des matériaux : après avoir exploité « à ciel ouvert » les bancs calcaires, notamment sur les versants de la vallée de la Bièvre, l’exploitation s’est poursuivie en souterrain, sous les 13ème et 14ème arrondissements à l’Est et à l’Ouest ; et sous les 5ème et 6ème arrondissements au Nord. Toutes ces galeries n’avaient donc à l’origine qu’un seul but : extraire le calcaire nécessaire à la construction et l’expansion de Paris. Les ossements qui ont fait la renommée de ce lieu n’interviendront que bien plus tard, au Moyen- ge. Les parties de ces carrières utilisées sous forme de « catacombes », soit en tant qu’ossuaire municipal, ont été creusés entre le bas Moyen- ge, la Renaissance et les XVIème et XVIIème siècles. Une durée longue, qui explique la quantité importante d’ossements que l’on retrouve désormais.

Ces carrières, en fin d’exploitation, ont laissé des vides « francs » résiduels relativement importants : de 10 à 40% du volume d’extraction. En effet, on ne peut pas tout extraire, loin de là : il est nécessaire de laisser en place 40 à 50% de la roche, sous forme de piliers, pour que la structure demeure stable. Sans ces précautions élémentaires, tout pourrait s’effondrer, ce qui causerait la mort des personnes sous terre mais aussi des affaissements de terrain, mettant en danger toute la surface. C’est également pour cette raison que la profondeur des galeries, dans le secteur des catacombes, est de l’ordre de 25 mètres en-dessous du niveau de la surface, une distance raisonnable pour éviter un effondrement. Pour faire descendre les travailleurs aussi profondément, il est nécessaire de creuser un puits pour accéder aux carrières, mais aussi pour extraire les matériaux et les remonter, et enfin ventiler les salles et les galeries. Jean-Yves Stoquer rappelle que pour réaliser l’ampleur de la tâche qui a été accompli, ces anciennes exploitations ont été effectuées « à la main », c’est-à-dire avec les outils de l’époque, sans machine pour découper les roches et sans explosifs. Visiter les catacombes en ayant cette idée en tête rend tout beaucoup plus impressionnants, car il faut imaginer le travail difficile effectué aussi loin de la surface.

La question des ossements

Elle a été évoquée brièvement, mais la question des ossements fascine toujours : ils sont le symbole des catacombes parisiennes. Mais la question fascine : qui sont ces personnes dont il ne reste que les squelettes ? Depuis quand sont-ils ici ? Et surtout, pourquoi ? Pour le passionné d’histoire, la réponse provient du XVIIème siècle : en ce début de siècle, la situation des cimetières parisiens était critique. Il n’y avait plus de place et le mode d’inhumation de l’époque consistait à élever des tertres, dont la hauteur pouvait excéder les 12 à 15m. On en trouvait par exemple notamment dans le cimetière des Innocents, dans le secteur des halles de Paris. Le problème, c’est que les eaux d’infiltration et de ruissellement contribuaient alors à la propagation des épidémies : l’eau pénétrait les sols, se mêlait aux corps en décomposition et finissait par ruisseler jusqu’aux habitations ou infecter des zones plus « pures ». La décision a donc été prise de « reprendre » l’ensemble des sépultures et de transférer l’intégralité des ossements dans un local mieux approprié. Et ce « local » n’était autre que les galeries souterraines creusées depuis longtemps. Ainsi, en quelques décennies, les ossements de plusieurs millions de parisiens ont été transférés et entassés dans les galeries et les salles de ces anciennes carrières. Bien entendu, les opérations se faisaient sous la direction des membres du clergé. D’ailleurs, les corps étaient toujours placés au-delà de la « barrière d’Enfer », qui correspond à l’actuel place Denfert-Rochereau, dans le 14ème arrondissement.

Attention, les opérations avaient tout de même lieu avec un certain respect : le transfert des ossements s’effectuait dans des charrettes recouvertes de draps noirs, sur lesquels s’étalaient diverses décorations de deuil. Jean-Yves Stoquer précise que cela permettait de ne pas troubler l’ordre public, et que le cortège était accompagné de religieux qui récitaient des prières et portaient des chandeliers, comme il est d’usage dans la chrétienté. Les ossements étaient ensuite rangés plus ou moins simplement dans l’ossuaire ainsi constitué, à partir du cimetière d’origine. Il faut d’ailleurs noter que la décision d’autoriser des visites, puis même de les organiser, est bien plus tardive, durant la seconde partie du XIXème siècle. Les raisons de ce délai sont assez pragmatiques : il a fallu de nombreuses années pour consolider les galeries des anciennes carrières souterraines abandonnées, dont l’évolution naturelle avait ponctuellement conduit à des effondrements, touchant parfois des constructions en surface, sur des terrains privés. Il a donc fallu réaliser des travaux de soutènement des cavités instables. Néanmoins, les décorations et les plaques qui ornent encore aujourd’hui les catacombes correspondent à une période où le positivisme à progressivement concouru à désacraliser l’ossuaire, qui était auparavant classé comme un cimetière. C’est principalement à ce changement de mentalité que l’on doit les catacombes telles qu’on les connaît aujourd’hui.

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